La der des der de l'intérieur

Le Feu / Henri BARBUSSE

Gallimard, 2007

 

L'auteur a posé le point final à "Le feu : journal d'une escouade" en 1915. Même s'il n'aborde pas les grandes batailles de 1916 et 1917, il permet de vivre la guerre de l'intérieur, dans la peau d'un poilu avec son vocabulaire particulier parfois difficile à comprendre, ses préoccupations terre à terre fixées sur la survie au quotidien. De nombreux romans ont, depuis, permis de lever le silence sur l'impressionnant abattage organisé de toute une génération. Ce qui fait la force de celui-ci c'est que ces mots sont le vécu et le ressenti de son auteur qui tenait son journal. Les événements se succèdent par chapitres, commençant par le moins éprouvant : les cantonnements, le repos où les hommes s'entassent dans des caves ou des granges qu'ils louent à une population qui s'indemnise ainsi des pertes dues à la guerre. On leur fait peu de cadeaux aux soldats et ceux-ci en nourrissent un ressentiment légitime. On se rend ainsi compte qu'entre deux montées au front, le quotidien du soldat est constitué de nombreuses combines pour tenter d'améliorer un ordinaire qui n'arrive pas toujours. Puis, il faut retourner "au feu" à l'issue de marches harrassantes en portant des kilos sur le dos, souvent mal chaussé.

Là c'est un univers d'angoisse et de mort permenente que l'on a sous les yeux : il faut passer des jours enterrés dans la terre humide, environné de multiples cadavres coincés dans les couches de terre en fonction de la bataille au cours de laquelle ils sont tombés. Le soldat contemple son avenir plus ou moins proche : charognes pourrissantes dans lesquels on reconnaît, à ses affaires, un ancien camarade. Cela permet de comprendre pourquoi tant de corps sont restés sans sépulture. La montée au front est ensuite décrite dans toute son horreur et l'on se demande comment ce texte a pu échapper à la censure et obtenir le Goncourt en 1916.

Nous sommes, pour beaucoup d'entre-nous, les descendants de survivants de ce carnage et nous avons dans notre famille, parfois sans le savoir, un mort sans sépulture depuis une centaine d'années. Certains d'entre nous vivons dans des régions parsemées de cimetières militaires et ces kilomètres de croix posées dans des endroits souvent charmants, découverts lors de promenades, donnent le vertige surtout si l'on pense à ce que serait leur nombre si l'on avait pu enterrer tous les corps. Ces événements nous conditionnent sans doute beaucoup plus que nous ne le pensons et la lecture de ce type de journal ne peut que résonner en nous.



Avant Bernanos

Thaïs / Anatole FRANCE

Gallimard

 

Un moine vertueux nommé Paphnuce et réputé pour sa sagesse et son ascétisme mène une existence austère consacrée uniquement à la prière. A cause d'une vision, il ne peut s'empêcher de penser à une jeune femme dont il a été amoureux pendant sa jeunesse, Thaïs, une actrice adulée d'Alexandrie. Il décide alors d'arracher la jeune femme à sa vie de pécheresse mais, se méprenant sur ses motivations réelles, il ne peut que se perdre lui-même.

 

Le comble de l'injustice ne semble-t-il pas résider dans le sort du moine qui se damne en sauvant une âme ?

 

Ce roman vaudra à son auteur une critique appuyée d'un jésuite auquel il répondra d'assez subtile manière dans une préface. Il est vrai que les dialogues entre le moine et des philosophes lors d'un repas ne mettent pas la doctrine chrétienne et le monothéisme à son avantage.



Quand l'avarice devient du grand art !

Eugénie Grandet / Honoré de Balzac

N'importe quelle édition fera l'affaire !

 

De la figure archétypale de l'avare, on connaît l'incontournable personnage de Molière évidemment. Pourtant c'est "chez Balzac" que la psychologie d'un avare notoire et maladif nous est magistralement décrite. Il est vrai que l'héroïne du roman est "officielement" Eugénie, la fille unique du "père Grandet". Avec sa mère et Nanon, la servante, elles vivent chichement dans une maison tenue d'une main de fer par le père Grandet, assis sur un tas d'or mais comptant soigneusement chaque morceau de bougie, chaque sou pour la nourriture.

 

Lorsque Charles, le neveu de Grandet, cousin d'Eugénie, envoyé là par son père met le pied dans la triste maisonnée, la vie des trois femmes est bouleversée. Elles se liguent pour tenter d'apporter un minimum de confort au jeune homme. Eugénie tombe amoureuse et, en quelques jours, tient d'avantage tête à son tyran de père qu'en quelques années. Le père Grandet est chargé par son frère, dans la lettre que Charles lui confie, d'annoncer à son fils sa faillite et son suicide.

 

Le drame s'accélère. Le père Grandet se débarrasse de son neveu aux Indes, non sans l'avoir roulé sur la vente du peu de biens que le jeune homme possède encore. Il ne sait pas qu'Eugénie a offert ses économies à Charles. Lorsque son père l'apprend, il condamne Eugénie à rester enfermée dans sa chambre ce qui entraîne, peu à peu, madame Grandet vers la tombe.

 

C'est là que l'avarice du père Grandet va se révéler dans toute sa dimension sordide. Un drame intemporel va se jouer où la cupidité, l'avarice et l'arrivisme prennent le pas sur tout sentiment ou attachement.



Du danger de rencontrer les auteurs que l'on admire...

L'Image dans le tapis / Henry JAMES
P. Horay, 1984

Le narrateur, jeune critique littéraire, vient d'écrire un article élogieux, qu'il pense très réussi, sur le dernier roman d'un écrivain qu'il vénère.
Il rencontre justement celui-ci lors d'un dîner mondain et apprend, de la bouche même de son idole, qu'il n'a rien compris à son oeuvre et que celle-ci recèle un secret. L'écrivain lui confie même qu'il ne vit que pour voir si, un jour, un lecteur plus perspicace découvrira ce secret qui donne tout son sens à son oeuvre.
Dès lors, évidemment, le jeune critique n'a de cesse que d'être l'élu qui partagera la révélation avec le maître.

Un court roman plein d'ironie sur le sens de la création littéraire.

Ce roman n'étant pas facile à trouver en librairie, je vous conseille les bonnes vieilles médiathèques proches de chez vous pour vous le procurer. Vous verrez, elle recèlent des trésors !!!